Le regard bleu transparent et les cheveux grisonnants, Emmanuel Megrelis, la quarantaine, sort de son énorme pick up rouge avec un large sourire et l’envie apparente de vous faire découvrir Houston, sa ville d’adoption depuis vingt ans. Ce Français est tombé amoureux du Texas et a visiblement adopté la tradition des États du sud qui veut que chaque nouveau venu soit accueilli comme un roi. Dans sa vaste maison, située à quelques miles de Montrose, l’un des plus vieux quartiers de la ville, il raconte comment il est parti à la conquête de l’Ouest, à 22 ans seulement. « En troisième année d’école de commerce, je suis venu faire un stage chez Elf à Houston. Dès que j’ai obtenu mon diplôme en France, je suis reparti au Texas pour essayer de trouver du boulot. J’ai rencontré un chef cuisinier français qui voulait retourner au pays. Il m’a vendu sa machine à glaces, ses recettes et ses 7 clients. L’affaire a plutôt bien marché : je suis devenu le premier à vendre des sorbets au Texas », raconte-t-il.
Aujourd’hui avec la concurrence d’Häagen-Dazs et Ben & Jerry’s Emmanuel Megrelis a une nouvelle fois changé de casquette et possède deux usines de croissants et de pâtisseries mexicaines. Un entrepreneur habile donc, à l’image des 12 000 français venus s’installer à Houston, 4ème ville des États-Unis et capitale de l’énergie et des hydrocarbures.
« Le côté cow-boy, battant et courageux est encore très présent dans les mentalités des expatriés. À Houston, il faut travailler pour s’en sortir », explique Matthieu Clouvel-Gervaiseau, consul adjoint de France dans la capitale texane. Après le boom pétrolier des années 1970, une première vague de Français a immigré à Houston, attirée par l’explosion des industries de l’hydrocarbure. Aujourd’hui, la ville accueille le siège des plus grandes entreprises énergétiques du monde dont les filiales américaines des groupes français Total, GDF Suez ou encore Air Liquide. Philippe Lepoutre, chef de la direction des opérations, cadre chez Air Liquide, l’un des leaders des gaz industriels et médicaux, explique : « Les activités d’Air Liquide aux États-Unis et en Europe sont assez similaires. Le fracking, un procédé qui permet de récupérer le pétrole ou le gaz dans des champs d’hydrocarbures difficiles à exploiter, est cependant plus développé ici qu’en Europe où l’on trouve très peu de pétrole. »
Au début des années 1980, suite au deuxième choc pétrolier, Houston traverse une période économique plus difficile. Beaucoup d’entreprises ferment, le Downtown se vide et est repeuplé de squatters et de sans-abris. Houston entame alors une reconversion énergique en diversifiant son activité. La ville se développe dans les nouvelles technologies et la recherche médicale, deux secteurs qui attirent à nouveau de nombreux Français. « En neuf ans, le nombre de Français a doublé », précise encore le consul adjoint.
Stéphane Zalinski, chirurgien à l’hôpital Cochin de Paris fait une année de recherche au Medical Center de Houston, l’un des trois premiers centres médicaux au monde. « Je voulais booster mon CV pour postuler dans un CHU (Centre Hospitalier Universitaire) en rentrant de mon année au Texas », explique ce trentenaire ambitieux. Nicolas Rouckout, lui, travaille depuis un an pour le groupe pharmaceutique Bayer, après avoir terminé un PHD à la Texas A&M University. Le jeune homme ne compte pas rentrer en France de sitôt. « J’ai beaucoup voyagé sur le territoire américain pendant mes années de doctorat et Houston est vraiment l’un des meilleurs endroits pour s’installer. Le coût de la vie n’est pas trop cher et les Texans sont hyper conviviaux. »
Au Café Bohême, un bar branché de Houston, où la chambre de commerce et d’industrie organise des soirées pour les expatriés et les francophiles, tout le monde semble d’accord : il fait bon vivre au Texas. Cela n’a pourtant pas toujours été le cas : en 2003, au moment de la guerre en Irak, les Français de Houston ont parfois été la cible de critiques de la part des Texans. Véronique Lhemann, attachée presse du consulat se souvient : « Ma fille ne voulait plus me parler en français dans la rue. Elle avait trop peur du regard des Américains. »
Eglantine Pauvarel, directrice de la chambre de commerce et d’industrie arrivée à Houston il y a tout juste un an, avait d’ailleurs quelques a priori sur le Texas avant de s’installer. « Au début, je me suis demandée ce que je venais faire ici ! En fait, je me suis rapidement rendu compte que Houston était une ville extrêmement dynamique et jeune. » Selon les chiffres du consulat, la moyenne d’âge des Français de Houston serait de 35 ans. Une communauté française jeune, dynamique mais aussi très soudée : tous les jeudis soir, au Café Express, dans le quartier de la Galleria, Lina N. Corinth organise le Dialogue des Francophones, une occasion de se retrouver entre expatriés et francophiles. Lina, qui travaille chez GDF Suez et habite au Texas depuis 20 ans, est un des piliers de la communauté française de Houston. Cette femme brune et volubile a vu la ville s’étendre et se construire à perte de vue. « Quand je me suis installée à l’ouest de Houston il y a vingt ans, j’habitais à la campagne au milieu des fermiers et de leur bétail. » Ville tentaculaire , Houston l’a « rattrapée » depuis longtemps.